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Titre du blog : temps retrouvé
Auteur : seringa
Date de création : 28-11-2011
 
posté le 28-03-2012 à 22:45:12

UN ROI SE MEURT.

Sous les projecteurs qui viennent d'être rallumés, six comédiens souriants saluent un public comblé qui les applaudit chaudement.

 

C'est une véritable performance qu'ils ont accomplie, car la pièce à laquelle nous venons d'assister n'est pas, à priori, facile d'accès.

Rendre l'absurde intelligible et plaisant à la fois n'est pas une mince affaire.Mais grâce à l'inventivité et à la richesse d'une mise en scène où rien n'a été laissé au hasard, les comédiens ont magnifiquement tiré leur épingle du jeu, et le public a bigrement apprécié.

        Comédie ou tragédie?

Le texte oscille constamment entre les deux registres.

Le jeu des comédiens ,qui assument tous le rôle qui les habite à la perfection,nous fait éclater de rire ou frissonner d'émotion.

En découvrant le décor, on comprend d'emblée : l'heure est grave!

 Nous nous trouvons dans une salle du trône qui reflète sans doute l'état d'un royaume pas au mieux de sa forme...

Faisons connaissance avec les personnages.

 

Marguerite :(c'est Jackie!).Première épouse du Roi,elle fait une entrée majestueuse: altière, dans un costume splendide, à la hauteur de son rang,elle arbore une coiffure  "punkie", qui lui donne une petite touche de fantaisie...

 Elle est hieratique. Sa froideur nous saisit.

Elle a un chronomètre à la place du coeur et nous rappelle régulièrement où en est le compte à rebours.

Cruelle, elle passe son temps à secouer la seconde épouse et dirige la situation d'une main de fer, sans gant de velours.

Mais elle seule détient une véritable lucidité, et on finit  par lui pardonner, car elle sera la seule à assister magistralement le pauvre Roi dans ses derniers instants, et à lui redonner sa dignité au moment crucial.

Juliette :(c'est Jeanne!).Femme à tout faire ,et accessoirement infirmière selon les besoins,elle incarne "le petit personnel" corvéable à merci d'une manière époustouflante.Avec un naturel stupéfiant elle apporte au rôle la fantaisie et la touche d'absurde indispensables à toute comédie. Elle allège ainsi le poids du tragique, qui , sans cela ,rendrait le drame auquel on assiste insupportable.

On est sans cesse sur le fil, on est en pleine tragi-comédie.

 

Le Garde :( c'est Roger !). Revêtu d'un pourpoint en cuir bordeaux très seyant,

cet homme est dans une situation délicate: il n'a plus rien à garder!

Etant donné l'état de déliquescence avancée du royaume, il doit se contenter d'annoncer l'évolution de la santé de son Roi et ses interventions tonitruantes participent grandement de la farce et de l'absurde.

Son message à qui veut bien l'entendre "Le pôt-au-feu est défendu sur toute l'étendue du territoire "est un moment croquignolet parmi d'autres.

 

Dans le rôle du Médecin, voici Dominique.

Représentant multi-cartes de la faculté de médecine,et, si besoin est bourreau,son costume de prestigiditateur surmonté d'un haut-de-forme lui confère des pouvoirs illusoires.L'ustensile burlesque qu'il utilise pour ausculter le Roi dérive du monde de la B-D, et sa lunette astronomique, rien d'autre que la hallebarde du garde. En effet,ce Docteur-Miracle tire ses certitudes de l'observation des astres,("Mars et Saturne sont entrés en collision "!) , qui lui ont annoncé la mort imminente du Roi.

Son jeu est perfide, comme lui. Car c'est un homme pressé.

Pressé  d'asséner crûment la vérité au Roi, pressé d'en finir avec cette corvée.

Il a des obligations professionnelles qui l'appellent ailleurs.

Obséquieux à souhait, il quitte le lieu du drame en s'excusant...

 

Et voici Marie :(Nadine!). C'est la deuxième épouse, la favorite du Roi.

Et pour cause ! Grande et fraîche adolescente, plutôt frivole,

toujours amoureuse de son souverain, elle lui apporte la gaîté, la joie de vivre.

Elle nous émeut car elle nie obstinément l'évidence et veut le protéger,

refusant de le faire souffrir. Son chagrin est sincère, ses larmes ne sont pas feintes.

Elle passe des espoirs les plus fous au chagrin le plus déchirant. On compatit.

Mais sera-t-elle à la hauteur?

 

Et voici maintenant celui dont on parle depuis le début de la pièce:

 LE ROI, (Pierre-Olivier !), est annoncé par le garde.

Son entrée est ...ubuesque. Car c'est son sceptre, grotesque, qui le précède!

Lui arrive pieds nus, ses longs cheveux lâchés sur ses épaules couvertes d'un renard mité...

Il est ...en pyjama !

La vision de ce roi de théâtre est inattendue.

La salle se tord de rire.

Mais ça ne va pas durer.

Tour à tour, il va nous irriter, on va le mépriser, (il a fait assassiner des gens),

il va nous faire rire, nous attendrir, susciter notre pitié et nous bouleverser.

Car de pouvoir, malgré ce qu'il en croit, il n'en a plus : personne ne l'écoute et ne lui obéit.

Blême, défait, il refuse d'accepter la réalité.

Ridicule et capricieux, il trépigne de colère :

"Il n'a pas décidé de mourir, il ne s'y est pas préparé".

Luttant jusqu'à l'épuisement, il chute, il rampe:

"LE ROI TOMBE. LE ROI MEURT". On est vert!

Il se révolte:"Ils vont rire, bouffer,danser sur ma tombe...Je n'aurai jamais existé"... On rit jaune...

Il se relève. "Le ROI MARCHE ,VIVE LE ROI!"...

Il s'obstine, il gémit, il a peur.

On n'a plus du tout envie de rire.

Car la mort imminente de ce roi de pacotille symbolise la nôtre également,

celle de tout individu qui a eu un jour l'idée absurde de venir au monde.

Cette pièce nous bouleverse car elle nous renvoie à notre propre mort.

Dans une dernière scène éblouissante de maîtrise, le pathétique est à son paroxysme.

Habilement guidé par Marguerite, résigné, il accepte la fatalité.

C'est debout, la tête haute, qu'il franchit la dernière marche le conduisant dans l'Au-Delà.

L'empathie  est totale.

La farce est terminée.

La mort s'est donnée en spectacle.

Le tragique a gagné.

 

La salle est médusée. Personne n'ose bouger...

                                        **************************

Anne-Marie, metteur en scène divinement inspirée, a rejoint ses comédiens, et une nouvelle salve d'applaudissemnts clôture la représentation de cette pièce de IONESCO:"LE ROI SE MEURT".

 

Bravo et merci pour ces moments de théâtre vrai.

 

Commentaires

Palette le 01-04-2012 à 23:19:04
La statue n'était hélas pas en chocolat, si ça avait été le cas, je l'aurai mangée et pas animée

Sourire

Bonne semaine et gros bisous

Jaqueline
Palette le 31-03-2012 à 01:06:44
C'est vrai que Ionesco à toujours frisé l'absurde et qu'il faut être très fort pour bien s'en sortir en temps que metteur en scène.

Il a écrit un livre délirant assez peu connu : "Jacqueline" qui parle d'une petite fille de ce nom dont les parents, les frères, les soeurs, oncles et tantes etc... s'appelaient Jacqueline.

Je l'ai lu il y a très longtemps, il faudrait que je le reprenne pour voir si il y a une histoire là au milieu ?


En attendant je te souhaite un bon week end et te remercie pour tes commentaires toujours très recherchés.

Bisous

Jaqueline
christineb le 29-03-2012 à 21:22:35
Ils sont exceptionnels, les acteurs que je connais, et aussi les autres. On aurait envie de voir une petite video du spectacle.